Le canton de Saint-Gall, un exemple de bonnes pratiques pour un système judiciaire adapté aux enfants

28 juin 2021

«Les problèmes ne se résolvent jamais par la même logique qui les a fait naître.» Cette déclaration générale d’Albert Einstein s’applique parfaitement aux procédures légales qui concernent les enfants et les adolescents.

Le canton de Saint-Gall a compris dès 2015 qu’il fallait de nouvelles approches pour obtenir des solutions durables. Dès lors, il s’est engagé dans une approche pionnière, dont découlent les «Empfehlungen für kindgerechte Verfahren im Kanton St. Gallen» (Recommandations pour des procédures adaptées aux enfants dans le canton de Saint-Gall) publiées début juin 2021.Ces recommandations facultatives s’adressent au personnel des autorités, tribunaux et institutions. Elles montrent comment les procédures dans le canton peuvent être suivies pour prendre en compte les besoins des enfants.

Comme dans le reste de la Suisse, de nombreux enfants et adolescents du canton sont impliqués chaque année dans des procédures légales. C’est le cas des trois quarts des procédures relevant du droit de la famille par exemple. Par ailleurs, dans ce même canton, 3500 enfants et adolescents sont concernés chaque année par des mesures de protection de l’enfant de l’APEA. Plusieurs milliers de mineurs font face à des procédures pénales, de migration ou de droit scolaire, ou sont en contact avec la police, le ministère public ou le tribunal des mineurs. Dans toute la Suisse, près de 100 000 enfants sont concernés chaque année.

Les recommandations du canton de Saint-Gall s’appuient sur les lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants ainsi que sur la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. L’article 12 de la Convention préconise que les enfants et les adolescents soient associés à toutes les décisions qui les concernent.

 

Pour le bien des enfants et du canton

Qu’est-ce qui a incité le canton de Saint-Gall à s’intéresser à la question ces cinq dernières années et à continuer de le faire à l’avenir? D’une part, les recommandations affichent une ambition de clarté et de transparence et démontrent notamment l’ouverture d’esprit du canton en matière de justice adaptée aux enfants. D’autre part, dans le cadre de sa «Stratégie de protection de l’enfant», le canton s’est fixé pour objectif de promouvoir les procédures adaptées aux enfants et donc de renforcer les droits des enfants. La protection des enfants et adolescents s’en trouve améliorée et les conséquences sociales et financières au sein du canton sont évitées dans la mesure du possible.

L’Office de l’Ombudsman des droits de l’enfant Suisse salue la stratégie du canton de Saint-Gall axée sur les droits de l’enfant et appuie ses recommandations. Par son approche, le canton a réalisé un travail important. L’Office de l’Ombudsman s’est inspiré de l’exemple saint-gallois pour définir une approche en 5 phases pouvant être adoptée comme «bonne pratique» par d’autres cantons et autorités.

 

Cinq étapes pour un système judiciaire adapté aux enfants


Phase I – Initialisation: convaincre est la première étape

Dans une première phase, les décideuses et décideurs dans les institutions ou à des fonctions publiques sont sensibilisés à la question. Ils prennent conscience de ce qu’implique un système judiciaire adapté aux enfants et sont convaincus:
●    que l’application de mesures adéquates protège efficacement les enfants et leur apprend l’auto-efficacité.
●    que la participation active des enfants les renforce et qu’ils peuvent faire face aux situations les plus difficiles et devenir ainsi des adultes capables de trouver des solutions.
●    que les enfants peuvent cesser de se percevoir comme des victimes et ne plus être réduits à l’impuissance.
●    que les enfants méritent d’être informés des questions qui concernent leur vie.

Ces enfants et adolescents deviendront des adultes plus forts qui ont appris à trouver des solutions. L’effet sur la société est durablement positif de point de vue sanitaire, criminologique et économique. Ce qui profite aux enfants et adolescents d’un canton profite au canton lui-même. Une fois que ce principe de cause à effet a touché et convaincu suffisamment de parties prenantes, la deuxième phase peut commencer.
 

Phase II – Conception: quelle est la situation actuelle?

Saint-Gall a lancé la 2e phase en 2016. Avec sa «Stratégie de protection de l’enfant de 2016 à 2020», le canton a commencé à faire des procédures conformes aux droits de l’enfant un sujet prioritaire. La situation actuelle a d’abord été analysée. Pour ce faire, un groupe de travail interdisciplinaire composé de membres des institutions suivantes a été constitué:

  • Office des affaires sociales (direction)
  • Tribunal des mineurs
  • Service des jeunes de la police cantonale
  • Tribunal cantonal
  • Autorité de protection des enfants et des adultes (APEA)
  • Autorité de surveillance de l’APEA
  • Médecine préventive
  • Service juridique du département de l’éducation
  • Ministère public

Cette approche est à ce point fructueuse et prometteuse parce que les différentes perspectives et réalités du terrain sont prises en compte dans l’analyse et que les problèmes d’interface sont révélés.

En plus de la participation des multiples parties prenantes, l’intégration des différents domaines juridiques est cruciale. Là aussi, nous pouvons recommander l’exemple de Saint-Gall comme une bonne pratique. Le canton a couvert les domaines juridiques suivants dans la constitution des groupes de travail:

  • Protection de l’enfance
  • Droit de la famille (séparation et divorce)
  • Droit scolaire
  • Médecine
  • Droit pénal des mineurs (victimes et auteurs d’infractions)
  • Droit pénal (victimes)

Dans ce contexte, le groupe de travail sous la direction de l’Office des affaires sociales a réalisé une analyse complète de l’état actuel de la situation par rapport aux objectifs des droits de l’enfant dans le canton, et ce, avant, pendant et après la procédure. Cela a permis d’identifier les lacunes dans les dispositions des lignes directrices européennes. En 2018, le groupe de travail a décidé de concevoir des recommandations en matière de procédures adaptées aux enfants pour les autorités, tribunaux et institutions du canton de Saint-Gall en complément des mesures spécifiques aux organisations.

Cette phase a été caractérisée d’une part par une collaboration intensive des différentes parties prenantes qui ont pu brosser un portrait détaillé de la situation à l’aide de questionnaires, et d’autre part par un échange interdisciplinaire positif qui a permis un éventail d’applications pertinent et pratique. Des responsabilités claires ont aussi pu être identifiées de sorte qu’aucune question n’est restée dans l’ombre.

A Saint-Gall, le groupe de travail a bénéficié dès le début de l’assistance technique de l’association Kinderanwaltschaft Schweiz. Après le lancement de la motion Office de l’ombudsman des droits de l’enfant par Ruedi Noser, Kinderanwaltschaft Schweiz a décidé de créer une fondation nationale Office de l’Ombudsman des droits de l’enfant Suisse (OODE CH) qui a pris ses fonctions en janvier 2021 et sert de solution transitoire jusqu’à la mise en place d’un office national public par la Confédération. La création de la fondation a été rendue possible grâce à la générosité de Zurich Assurances et de Zurich Foundation. La Confédération et les différents cantons, notamment celui de Saint-Gall, soutiendront ce projet pilote dans les années à venir pour éviter une vacance qui nuirait aux enfants, aux adolescents et au personnel spécialisé.

En tant que fondation indépendante de droit privé, nous remplaçons ainsi depuis 2021 Kinderanwaltschaft Schweiz en matière de services aux professionnel·les et de consultations juridiques pour les enfants et adolescents. Dorénavant, nous apportons un soutien technique direct au personnel des administrations, des tribunaux, des autorités, de la justice des mineurs, du ministère public, de la police, des autorités scolaires, des institutions médicales ainsi que d’autres organismes contrôlés et mandatés par les cantons pour la création de procédures adaptées aux enfants. Nous aidons volontiers ces acteurs quant à la sensibilisation des parties prenantes. Nous donnons des informations générales et pour des cas particuliers, ce qui s’avère avantageux pour les enfants et adolescents, mais aussi pour le canton lui-même. Les acteurs politiques sont aussi impliqués de différentes manières. Par ailleurs, cela démontre l’importance du sujet à d’autres parties prenantes.
 

Phase III – Communication: les objectifs sont définis

Les mesures et recommandations formulées par le groupe de travail sont consolidées et communiquées par le biais des médias avec le soutien du gouvernement cantonal. La 4e phase est ensuite lancée.
 

Phase IV – Mise en œuvre: learning by doing

Les recommandations et mesures sont diffusées par des projets de suivi, des formations initiales et continues et le développement d’instruments de travail pour que les personnels concernés puissent les ancrer et les transmettre. L’application devient routinière.
 

Phase V – pérennisation et reporting: les efforts ont porté leurs fruits

Les mises en œuvre sont appliquées dans le travail quotidien. La situation des enfants et adolescents s’est fortement améliorée. La dernière phase sert à ancrer les recommandations partout où elles sont utiles et pertinentes, par exemple dans les lois ou ordonnances cantonales. Les professionnel·les réfléchissent régulièrement à leur action. De plus, le feedback des enfants donne des indications et des informations intéressantes dans les domaines où il existe encore des besoins. L’office de l’ombudsman des droits de l’enfant assume ici une fonction importante: en informant activement les enfants et les adolescents sur leurs droits par l’intermédiaire de professionnel·les et en attirant leur attention sur l’office, ce dernier reçoit des informations importantes par le biais d’appels d’enfants et d’adolescents sur les secteurs où il existe encore des lacunes dans la mise en œuvre.

Les données sur la fréquence à laquelle les enfants et les jeunes ont recours à nos services de conseil et pour quels problèmes constituent une base solide pour une analyse pratique plus approfondie. Idéalement, un rapport annuel est présenté au gouvernement cantonal et aux professionnel·les. Bien évidemment, ce rapport est confidentiel et sert uniquement à améliorer la mise en pratique.
 

Le renforcement des droits de l’enfant contribue à la protection de l’enfant

Le projet pilote bénéficiant du soutien financier du canton de Saint-Gall, nous pouvons l’accompagner de près dans les phases III et IV avec notre expertise et continuer de mettre nos services à disposition de tous les personnels spécialisés. Saint-Gall sert de modèle dans toute la Suisse pour la mise en œuvre d’une justice adaptée aux enfants et permet aux enfants et adolescents de renforcer leur résilience par une participation active.

Kinderanwaltschaft Schweiz a longtemps œuvré pour que les Lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants du Conseil de l’Europe soient largement connues et acceptées. Sur la base de ce travail préparatoire, nous, l’office de l’Ombudsman des droits de l’enfant Suisse, aidons les professionnel·les et les politiques à mettre en œuvre les droits de l’enfant. Cela peut se faire de la même manière que la démarche de Saint-Gall ou par un conseil et de l’aide ponctuels.

Lorsque les procédures sont organisées de manière adaptée aux enfants, les décisions et les mesures sont compréhensibles pour les intéressé·es et leur impact plus durable.
Le renforcement de l’enfant par l’application de ses droits participe à la protection des enfants et adolescents et crée ainsi de nouvelles solutions aux problèmes sociaux.